Chester s’approcha du village frontalier tapi au fond de la vallée. Les sourcils plissés, l’homme s’étonna de ne voir personne dans les rues. On lui avait pourtant dit qu’il dénicherait du travail ici, la région s’étant enrichie depuis que des filons d’or y avaient été trouvés. Pourquoi ne pourrait-il pas en profiter ? Il tapota le flanc ambré de son vieux cheval avant de continuer à avancer, le dos endolori par son long voyage dans le désert. Luthan et lui avaient besoin d’accorder un répit à leurs articulations fatiguées, de se restaurer et de se reposer. Il s’installerait volontiers dans un endroit tranquille, surtout à l’approche de la saison froide. Certes, la température resterait tolérable, mais il se voyait avec bonheur en train de somnoler après une journée de travail, au coin d’un âtre, une bouteille de whisky près de ses bottes… Cette fois-ci, il se forgerait une réputation honnête et gagnerait honorablement ses pièces d’or. Il était temps de tirer un trait sur son passé criminel.
Un mouvement sur la droite attira l’attention de Chester. Aux aguets, il repéra un jeune homme vêtu d’une veste de mouton renversé et de jambières en cuir. Le fuyard louvoyait entre des obstacles invisibles, des cailloux roulant sous ses bottes. Quelques plumes chutèrent du bandeau qui maintenait en place sa chevelure anthracite. Il s’immobilisa brusquement devant Chester, surpris par sa carnation d’albinos. Le cavalier en avait à ce point l’habitude qu’il ne s’en offusquait plus…
Le fugitif se ressaisit et cria d’une voix saccadée :
— Partez d’ici, ils arrivent ! Ils ont envahi le village !
Sans un mot de plus, le jeune homme recommença à courir. Il disparut bientôt derrière un rocher dynamité. Perplexe, Chester posa sa main sur l’un des deux colts de son ceinturon. Son regard balaya la vallée. Il pourrait toujours s’enfuir si l’illuminé avait dit vrai. Sans doute n’était-ce qu’un fou inoffensif comme il y en a dans chaque village. Mais le cavalier hésitait : il avait vu nombre de phénomènes inexplicables au cours des derniers jours, comme ces lueurs clignotantes dans le ciel, ces empreintes circulaires sur les dunes des plaines ou encore cette odeur de roussi qui surgissait parfois de nulle
part.
Les sabots de son cheval heurtèrent le chemin poussiéreux. Ils approchèrent du cimetière situé en aval du village. De nombreuses croix renversées avaient chu sur le côté, tendues à la manière d’un arc rompu. Suspicieux, Chester scruta le sol en s’attardant sur plusieurs trous dans la terre. Le sol de la nécropole, retourné de part et d’autre comme si quelqu’un avait cherché à en exhumer les cadavres, était criblé de cavités sanglantes.